Crises, capitalisme de plateforme et régulation algorithmique : la plateformisation de la société québécoise
Maxime Ouellet, avec André Mondoux (École des médias), Fabien Richert (École des médias) et Samuel Lamoureux (TÉLUQ), en collaboration avec Myriam Lavoie-Moore
La pandémie de COVID-19 a généré une crise structurelle qui aurait pu être une occasion de remettre en question notre modèle de développement actuel au profit d’un modèle dit « anthropogénétique », celui-ci davantage orienté vers la recherche d’un bien-être axé sur la santé, la culture et l’éducation. Or la pandémie a plutôt permis, selon plusieurs observateurs, d’accélérer le passage vers une nouvelle forme de capitalisme, le « capitalisme de plateforme ». Le recours généralisé aux médias numériques afin de maintenir un semblant de vie normale est en partie responsable. Ce processus de numérisation généralisé indurait notamment une nouvelle forme de régulation de la pratique sociale nommée « régulation algorithmique », laquelle se caractérise par une forme d’intervention préemptive sur le réel venant se substituer à l’ancien mode de régulation politico-institutionnel des sociétés modernes.
L’objectif de cette recherche est d’analyser la transition vers le capitalisme de plateforme et la régulation algorithmique à travers l’étude des principales plateformes développées ou utilisées au Québec dans les trois principaux secteurs au cœur du modèle de développement anthropogénétique : la santé, l’éducation et la culture. Plus précisément, elle permettra d’étudier la montée des plateformes sectorielles dans ces domaines, alors qu’elles sont en relation avec les plus grandes plateformes infrastructurelles (par exemple, Alphabet ou Microsoft).
L’implantation de plateformes sectorielles passe en effet souvent par la marchandisation et la privatisation des services qu’elles représentent, ce qui fait régulièrement émerger des frictions et des points de contestation, notamment relativement aux valeurs d’universalité et d’accessibilité qui sont au cœur de nos services publics.
Cette recherche permettra ainsi de s’interroger sur les valeurs sur lesquelles s’appuie le développement des plateformes au Québec. S’oriente-t-il vers un mode de développement anthropogénétique, ou encore participe-t-il à la consolidation d’un capitalisme de plateforme dominé par les monopoles du numérique (les GAFAM)? Surtout, quels conflits émergent ou seront appelés à émerger entre ces deux visions?
De manière plus précise, cette recherche s’articule autour des trois sous-objectifs suivants :
- Cartographier l’écosystème du capitalisme de plateforme dans les services publics au Québec
- Comprendre le circuit de valorisation des données
- Analyser les stratégies de design persuasif des plateformes
Pour remplir ces objectifs, le développement des plateformes au Québec sera examiné à partir de trois niveaux d’analyse : macro, méso et micro. Au niveau macro, il s’agira d’analyser quels sont les développements et les investissements dans les secteurs de la santé, de la culture et de l’éducation des principaux acteurs de l’écosystème des plateformes à l’échelle globale (les GAFAM). Au niveau méso, il s’agira d’analyser le développement des plateformes sectorielles (santé, éducation, culture) au Québec et leur interrelation avec l’écosystème global. Au niveau micro, les principales plateformes de ces divers secteurs seront étudiées afin de voir comment se mettent en place les logiques de dataification, de marchandisation et de sélection qui participent à la mise en place d’une forme de régulation algorithmique.
L’objectif de l’équipe de recherche est à la fois de séparer ces niveaux d’analyse pour pouvoir les analyser finement et de produire une synthèse du processus de plateformisation de la société au Québec. Les résultats de la recherche contribueront au débat public et universitaire sur la question de la régulation des plateformes numériques. Elles contribueront aussi aux débats en cours sur le droit du travail concernant les usagères et usagers et les travailleuses et travailleurs de plateformes, mais aussi aux enjeux concernant la souveraineté numérique du Québec.
CRSH Savoir, 2023-2027