Les réseaux de partage de discours comme réseaux mutualistes
Johanne Saint-Charles, avec Pierre Mongeau (Département de communication sociale et publique), Michelle Stewart (Département de communication sociale et publique) et Maxime Bérubé (UQTR) en collaboration avec Camille Roth (Centre national de la recherche scientifique), Marian Dörk (Fachhochschule Potsdam), Andrea Fronzetti Colladon (Universita degli Studi Di Perugia) et Guy Melançon (Université de Bordeaux I)
Comprendre l’émergence et anticiper l’évolution des communautés de partage d’informations et d’opinions, telles que les communautés aux discours radicaux, les chambres d’écho sur internet (réseaux d’échanges où les perceptions, les opinions et les croyances s’alimentent mutuellement), demeure un défi.
Ces phénomènes ont suscité un grand intérêt ces dernières années, alors qu’il est dit que les médias sociaux facilitent leur émergence. Même si plusieurs études ont tenté d’élucider les processus et les mécanismes sous-tendant cette imbrication des réseaux sociaux d’échange et des réseaux de discours partagés, beaucoup ont appelé à la nécessité de mieux modéliser la coévolution entre ces types de réseaux.
Ainsi, en réponse au manque de modèles théoriques, ce projet a pour objectif de vérifier si le modèle des réseaux mutualistes, développé en écologie animale, peut être mobilisé pour mieux comprendre cette coévolution telle qu’elle se manifeste dans différents contextes.
Le mutualisme écologique désigne un type d’interactions réciproquement bénéfiques pour les espèces impliquées. Par exemple, les abeilles tirent de la nourriture des fleurs et les fleurs se reproduisent grâce à la pollinisation par les abeilles. Leur survie mutuelle et leur diffusion sont ainsi favorisées par leurs interactions. Appliqué aux groupes humains et aux idées, le mutualisme vise à rendre compte de la survie et de la diffusion d’ensembles d’idées ainsi que du maintien et du développement de groupes humains.
Selon ce modèle, des idées favorisant le maintien et le développement de groupes humains seront adoptées par les membres de ces groupes et, parallèlement, l’adoption de certaines idées par des groupes d’humains favorisera la survie et la diffusion de ces idées.
L’analogie structurelle entre les réseaux sociosémantiques formés par les discours et les liens sociaux suggère que ce modèle permet d’appréhender et d’interroger différemment plusieurs problématiques sociales. Par exemple, comment les groupes d’échanges d’informations sont-ils affectés par l’introduction de contenus incompatibles ou contradictoires (comparables à l’arrivée d’un prédateur)? Quels impacts ont les changements dans l’effectif des réseaux sur le partage des idées (comparable aux modifications des proportions des espèces)?
Ce projet permettra de vérifier si le modèle des réseaux mutualistes peut s’appliquer à des corpus liés à différents contextes sociaux et d’explorer l’émergence et l’évolution de ce type de réseaux dans une perspective qui tient compte de l’impact d’événements externes sur leur constitution.
Il offrira un cadre conceptuel et méthodologique permettant de mieux comprendre et anticiper l’articulation entre le développement des réseaux sociaux et la diffusion des idées, des opinions, des normes, etc., exprimées à travers le discours. Il offrira des procédures d’analyse pour :
- Déterminer si les réseaux étudiés peuvent être considérés comme des réseaux mutualistes
- Comparer les caractéristiques des réseaux
- Examiner les transformations de ces réseaux
Les résultats de cette recherche serviront aux personnes œuvrant en intervention aux prises avec les défis de société reflétés dans les discours et les débats dans et entre les différents groupements sociaux et socionumériques (approches scientifiques de phénomènes, groupes politiques, réseaux informels dans les organisations, etc.).
Des pistes innovantes pour l’élaboration de stratégies de diffusion ou de bris de la diffusion seront proposées pour les domaines relevant de l’innovation sociale, du marketing, de la promotion des politiques publiques, de la lutte contre la radicalisation, de la santé publique, etc.) et de l’intervention sociale (auprès des groupes, des communautés et des organisations).
CRSH Savoir, 2023-2027